28 juin 2019 : un record de chaleur est atteint dans le Gard, où la barre des 45 °C a été franchie pour la première fois en France. Un épisode caniculaire qui risque de se répéter d’ici quelques jours, selon les dernières prévisions météo. Ces températures élevées affectent aujourd’hui de nombreux pays, comme en Inde où l’on a également suffoqué début juin quand la température a dépassé les 50 °C.
Face aux canicules à répétition, la climatisation devient de plus en plus indispensable : elle améliore nos conditions de vie ainsi que la productivité économique. Mais le soulagement qu’elle offre instantanément est contrebalancé par des effets environnementaux néfastes.
Quelles sont les tendances de consommation des climatiseurs dans le monde ? Quel est l’impact environnemental et quelles solutions adopter ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur les données d’Enerdata et celles du rapport de l’Agence internationale de l’énergie publié en 2018 sur le sujet.
Moins d’un tiers des ménages possède un climatiseur dans le monde. Mais certaines régions sont davantage équipées que d’autres. Aux États-Unis ou au Japon, 90 % des foyers possèdent un tel équipement. Et la Chine compte désormais plus d’un tiers des climatiseurs du monde, avec un taux d’équipement des ménages de 60 %. Une part nettement supérieure aux 8 % observés pour les 2,8 milliards de ménages vivant dans les régions les plus chaudes. En Europe, 20 % des ménages en moyenne possèdent une climatisation, et seulement 5 % des Français.
La tendance des ventes de climatiseurs atteste que ces écarts se réduisent. Celles-ci ont augmenté de 15 % entre 2017 et 2018, tout particulièrement dans les économies émergentes (Chine, Brésil, Inde, Indonésie et Mexique), qui enregistrent des épisodes de chaleur de plus en plus extrêmes. Le nombre de climatiseurs installés dans le monde a ainsi augmenté de 40 %, et presque doublé en Asie depuis 2010.
La climatisation représente une part de plus en plus importante de la consommation électrique du secteur du bâtiment – qui comprend les secteurs résidentiel et tertiaire. Au niveau mondial, elle est responsable de 12 % des émissions de CO2 émises dans ce secteur.
En Arabie saoudite, elle compte pour 73 % de la consommation électrique du secteur, contre 23 % aux États-Unis ou en Inde. En Europe, la climatisation ne pèse que 2 %, mais on observe une tendance de croissance annuelle marquée depuis 2000 (3,5 % par an). Un taux qui reste modeste par rapport aux évolutions observées en Asie : 12 % par an depuis 2000 pour la Chine, 11 % pour l’Inde ou encore 9 % pour l’Indonésie.
Le Japon fait figure d’exception avec une consommation stable depuis 2000 : le marché de la climatisation étant presque saturé (90 % de taux d’équipement), le volume de climatiseurs installés évolue peu ; et le remplacement des vieux équipements par des équipements plus efficaces améliore la performance énergétique du parc.
Au moment le plus fort du dernier épisode caniculaire en France, en juin, RTE annonçait qu’un pic de consommation électrique « de période estivale » avait été atteint (59 436 MW) du fait de l’utilisation accrue des climatiseurs et des ventilateurs. RTE indiquait que chaque degré au-dessus des normales de saison correspondait à une consommation additionnelle électrique équivalente à celle de la ville de Bordeaux. En Chine, la climatisation représente lors de ses journées les plus chaudes jusqu’à la moitié de la demande de pointe d’électricité du pays.
Désormais, le refroidissement de nos lieux de vie aggrave le réchauffement climatique.
Tout d’abord, une part importante des climatiseurs vendus ou déjà installés dans le monde sont très énergivores. Ils consomment beaucoup d’électricité, majoritairement produite à l’aide de charbon, dont l’exploitation est très émettrice en CO2.
Les plus gros utilisateurs de climatisation dans le monde font malheureusement partie de ceux dont le mix électrique s’avère le plus polluant, comme l’Arabie saoudite ou la Chine. Bien que les États-Unis aient un indice carbone de leur production d’électricité significativement plus faible que ces deux pays, ils sont les plus gros émetteurs de CO2 du fait du volume d’électricité généré pour satisfaire ce besoin.
Les tendances montrent que ce phénomène s’amplifie. En Chine, les émissions de CO2 liées à l’usage de climatisation ont été multipliées par cinq entre 2000 et 2017.
Les climatiseurs utilisent d’autre part des fluides frigorigènes comme réfrigérant dont le potentiel de réchauffement climatique est élevé lorsqu’ils sont rejetés dans l’atmosphère. Certains composés sont jusqu’à plusieurs milliers de fois plus réchauffant que le CO2. Ces gaz ne doivent pas sortir des climatiseurs, mais il existe des risques de fuite au cours de la fabrication, de la maintenance, ou lors de pannes.
Il est cependant possible de freiner certains effets pervers.
Il s’agit d’une part de décarboner l’énergie servant à alimenter les bâtiments – pour lesquels la climatisation représente une part grandissante de la consommation énergétique. Le développement global des énergies renouvelables devrait permettre une telle décarbonation.
Il est également impératif que l’architecture s’adapte aux changements climatiques, pour le neuf (surtout en Asie) et pour l’existant (en Europe et Amérique du Nord). L’isolation et le choix des matériaux utilisés, mais aussi la possibilité de protéger les fenêtres contre le rayonnement solaire sont autant de solutions permettant de réduire fortement les besoins en climatisation.
Il faut noter par ailleurs que l’efficacité énergétique des climatiseurs varie considérablement d’un pays à l’autre : les équipements vendus au Japon et dans l’Union européenne sont généralement 25 % plus efficaces que ceux vendus aux États-Unis et en Chine. Optimiser leur consommation pourrait réduire de moitié leur croissance en demande énergétique, grâce notamment à la mise en place de normes et d’étiquetages obligatoires portant sur le rendement énergétique.
Enfin, il faut renforcer la réglementation portant sur les fluides frigorigènes, utilisés depuis une trentaine d’années. L’utilisation de la première génération de gaz (chlorofluorocarbure ou CFC) a été interdite en 1987 dans le cadre du protocole de Montréal, en raison de leur effet destructeur pour la couche d’ozone.
La génération actuelle de réfrigérants (hydrofluorocarbure-HFC) a un impact très faible sur la couche d’ozone mais contribue en revanche fortement à l’effet de serre. L’inclusion des HFC dans le protocole de Montréal a été finalement actée en novembre 2018 dans le cadre de l’Accord de Kigali ; ce dernier vise une réduction de l’usage du HFC de 80 % d’ici 2038-2047.
Au sein de l’Union européenne, cela se traduit par la mise en place la réglementation (F-Gaz) en 2006, intégralement remplacée en 2015. Cette dernière est censée accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre en interdisant à terme les HFC toujours utilisés sur le marché du froid.
Enfin, et comme toujours, l’adoption de comportement vertueux fait également partie de l’équation et doit permettre de réduire la consommation de la climatisation. L’Ademe conseille ainsi que la pièce soit à une température de 26 °C au plus bas et qu’il n’y ait pas plus de 5 à 7 °C de différence entre intérieur et extérieur. C’est aussi un moyen de faire baisser sa facture d’électricité, car une température ambiante trop basse de 1 °C (si la température ambiante est de 23 °C au lieu de 24 °C) fait augmenter de 12 à 18 % la consommation énergétique annuelle de l’installation de climatisation.
L’Agence internationale de l’énergie estime que le nombre de climatiseurs dans le monde passerait de 1,6 milliard d’unités à 5,6 milliards d’ici 2050.
On s’attend à ce que cette augmentation soit particulièrement sensible dans les économies émergentes comme en Inde où la climatisation pourrait représenter 45 % de la demande de pointe en électricité en 2050, contre 10 % aujourd’hui.
D’importants investissements dans de nouvelles centrales électriques seront nécessaires pour répondre à cette demande de pointe pendant la nuit, période au cours de laquelle il est impossible de satisfaire la demande à partir du solaire photovoltaïque par exemple.
Espérons également que les industriels de la climatisation trouveront une alternative aux fluides frigorigènes. Pour l’heure, la solution de remplacement envisagée serait le HFO (HydrFluorOoléfines) qui a un très faible potentiel d’effet de serre. Cependant, un des produits de dégradation des HFO présente un pouvoir herbicide et persiste très longtemps dans l’eau et les sols…
Carine Sebi, Assistant Professor - Economics, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.